La méta-religion en tant que singularité humaine

par Christopher Michael Langan, © 2018

Abstract : Basé sur les notes de l’auteur pour une présentation au groupe Foundations of Mind en octobre 2017, cet article examine le rôle de la méta-religion dans l’obtention d’un résultat favorable pour l’espèce humaine alors qu’elle se rapproche d’une Singularité avec à la fois des aspects Humains et Technologiques. Pour une compréhension technique limitée, veuillez consulter deux des précédents articles de l’auteur (Langan, 2002, 2017).

Mots-clés : Modèle Théorique Cognitif de l’Univers; CTMU; Dualisme; Méta-religion; Singularité

Le sens et le but de la spiritualité et de la religion

L’être humain a toujours eu soif de connaissance sur sa propre identité. L’identité humaine est cohérente, existant comme un tout unifié, sans lacunes ni interruptions qui pourraient interrompre la connexion entre ses différentes parties et aspects. Si l’identité humaine était fondamentalement pluraliste – par exemple, dualiste, existant en deux parties essentielles ou fondamentales – alors l’écart tout aussi fondamental entre les parties détruirait sa continuité, la rendant dissociative et pathologique.

Pour comprendre sa propre identité, l’homme a besoin d’un modèle de soi cohérent et donc monique qui reflète sa cohérence psychologique et la relie à tous les niveaux de la réalité. C’est-à-dire que l’homme a besoin d’une interprétation valide de l’individu humain dans la société, et de l’individu et de la société dans la réalité en général. Cette interprétation doit prendre la forme d’une correspondance ininterrompue couvrant la relation étendue entre l’homme, en tant qu’habitant de la réalité, et la réalité dans sa forme la plus basique et universelle ; l’homme doit se voir comme une partie intégrante de la réalité, et la réalité comme une extension de son propre être au sein d’une ontologie ou métaphysique unifiée et cohérente. En bref, l’homme et la réalité doivent partager une identité métaphysique commune.

Là où la métaphysique est un langage qui exprime la relation entre la réalité mentale et physique, la spiritualité peut être comprise comme l’essence métaphysique de l’identité humaine, et la religion comme sa manifestation organisationnelle. Dans ses diverses formes bénignes, la religion fournit à l’homme une compréhension de soi et un sens de la communauté… un modèle de l’individu et de sa relation avec les autres personnes, la société et la réalité en général. La religion dit aux gens qui ils sont et à l’humanité ce qu’elle est, en établissant leur relation à l’environnement global sur le plan spirituel ; il s’agit d’une relation binaire de l’homme à son environnement réel, et où l’environnement global de chaque être humain inclut tous les autres, la relation de l’humanité à elle-même.

Le modèle spirituel de soi, la relation homme-réalité étendue requise par la religion, est donc une stratification de l’identité humaine de l’individu à la réalité ultime, le niveau de réalité qui ne peut être expliqué en termes de quoi que ce soit antérieur à lui-même ou de tout type d’intégration extérieur. Cela découle du fait que l’homme est intégré à la réalité et partage donc toutes ses propriétés les plus générales et omniprésentes, jusqu’aux limites de la structure et de la dynamique humaines. En parallèle à ce degré d’extension se trouve l’extension extérieure de soi qui est recherchée dans certaines traditions religieuses asiatiques ; le soi devient de plus en plus expansif à mesure que ses profondeurs cachées sont sondées.

Mais ici, nous devons noter que la phrase « réalité ultime » est nécessairement une description partielle de Dieu, incorporée dans l’identité (autrement définie de manière variée) de toutes les religions monothéistes viables. Tout Dieu qui n’incorpore pas la réalité ultime ne pourrait exister que dans une réalité inclusivement appropriée partiellement au-delà de Son influence et de son pouvoir créatif, et serait donc insuffisant dans pratiquement touts les principaaux courants du monothéisme. D’autre part, cette description s’applique indépendamment de toutes les propriétés plus spécifiques incorporées dans diverses définitions de Dieu.

Le dualisme : la réalité déchirée en deux

Dans la théorie sociale et économique dominante, l’être humain est considéré comme un automate mécanique animé par son propre intérêt individuel et gouverné par des lois impersonnelles de la nature et des règles du comportementalisme. Les automates humains sont soumis à un conditionnement sur la base de leur propre intérêt individuel, qui est fonction du plaisir et du bonheur individuels, de la liberté face aux besoins, à la douleur et à la tristesse, ainsi que des normes d’aptitudes biologiques incluant la survie et la reproduction, tout cela en occupant une économie standardisée avec une mesure monétaire. L’homme est ainsi vu de manière simpliste comme un agent économique sujet au contrôle monétaire, dont la centralisation permet en principe de déterminer mécaniquement le futur entier de l’humanité par la pression calculée de boutons. Évidemment, cette vision dualiste de l’homme représente une négation complète de la dignité et de la souveraineté humaines, réduisant la race humaine à du bétail. Elle est également incompatible avec toute autre forme de religion que celle qualifié par Marx « d’opium du peuple ».

Le dualisme est généralement associé au philosophe français René Descartes. Le dualisme cartésien, qui a plusieurs formulations plus ou moins équivalentes, affirme simplement l’exclusion mutuelle de l’esprit et de la matière sur la base d’une absence apparente de connexion ou de chevauchement entre eux. En revanche, l’éviter n’est pas tout à fait aussi simple, car cela semble exiger un cadre conceptuel qui diffère de certaines façons contre-intuitives de notre image habituelle du monde. Afin d’éviter d’être confronté à ces différences, il est beaucoup plus facile de les contourner, ce qui permet de retrouver la route principale et d’éviter les montées abruptes et solitaires.

La persistance historique du dualisme cartésien peut avoir quelque chose à voir avec une autre innovation de Descartes, la géométrie analytique cartésienne (inventée indépendamment par Fermat), qui imprègne complètement le paysage scientifique. La géométrie analytique définit et représente l’espace de telle manière qu’elle exclut tout ce qui ne peut pas être entièrement représenté sous la forme d’un ensemble de coordonnées définies le long d’une trajectoire linéaire, avec ou sans diverses propriétés objectives attachées. En particulier, les aspects mentaux et spirituels des sujets conscients sont exclus des espaces physiques et donc séparés des contenus objectifs et observables de ceux-ci.

Alors que la religion doit connecter les êtres humains à tous les niveaux de leur identité, jusqu’à la réalité dans son ensemble (dont la présence, la connaissance et le pouvoir créateur de Dieu sont compris comme couvrant l’entièreté), définissant ainsi l’âme humaine grâce à cette connexion, le dualisme cartésien coupe l’âme en deux, laissant l’homme à la dérive de la réalité physique et dressant science et religion l’une contre l’autre. Le dualisme divise fondamentalement le monde, conduisant à une séquence apparemment interminable de tentatives futiles pour le recoller.

En bref, le dualisme cartésien est incompatible avec la connectivité spirituelle requise par la religion, ce qui rend la religion incompatible avec la science empirique et mathématique. Aucune ne peut être exprimée en termes de l’autre, et nous arrivons à la variante du dualisme cartésien appelée (pour la première fois par Stephen Jay Gould en 1997) « non-recouvrement des magistères » (Ndt : “non-overlapping magisteria”, NOMA). Cependant, la science et la religion revendiquent toutes deux la vérité et ont donc une exigence commune : la conformité à la logique, c’est-à-dire à la structure de la vérité. Ainsi, restaurer la cohérence et la consistance de la religion nécessite son incorporation dans une formulation de haut niveau de la logique (structure de vérité) qui prend également en compte les aspects théoriques, observationnels et méthodologiques de la science.

Spiritualité et crise de l’identité humaine

Le dualisme a précipité une crise dualiste et donc dissociative de l’identité humaine qui, en entravant le niveau spirituel de l’auto-identification humaine, équivaut à une crise de la spiritualité. Cette crise s’est métastasée dans les domaines socio-politiques et économiques, où le dualisme philosophique a été exploité de façon cynique et parfois catastrophique. Même si les gens sont assurés que leurs intérêts sont d’une importance primordiale par les dirigeants gouvernementaux, corporatifs et institutionnels, ils sont plus souvent perçus et traités comme des machines de stimulus-réponse communes et donc jetables, sans plus de valeur que d’autres formes de matière facilement disponibles.

Les sociétés sont cybernétiques ; ce sont des boucles de rétroaction de contrôle et de communication dans lesquelles le contrôle de haut en bas a tendance à augmenter avec le temps. En l’absence d’opposition religieuse, les gouvernements se comportent de plus en plus comme des égrégores malveillants, utilisant le secret, la désinformation, l’endoctrinement, la coercition et le conditionnement pour contrôler leurs citoyens. La religion elle-même peut être utilisée à de telles fins ; par exemple, les conférences et les conseils œcuméniques et interconfessionnels nominalement consacrés à une réforme ou à une synthèse religieuse millénaire peuvent être contrôlés par ceux qui préfèrent façonner l’identité humaine plutôt que de la comprendre… pour « remodeler » l’homme à leur convenance administrative ou personnelle. Le contrôle laïc, facilité par la suppression mutuelle des idéologies divergentes, se fait passer pour une unification religieuse en l’absence d’opposition scientifique, philosophique ou théologique cohérente.

Malheureusement, la religion organisée se retrouve sans contre-argument. Les approches actuelles de la religion et des écritures religieuses instancient le dualisme au niveau à la fois de la théorie et du modèle ; un langage scriptural, intériorisé subjectivement par les adeptes, est séparé de son contenu objectif. Les esprits qui confèrent un sens au langage sont séparés de la réalité matérielle et, de manière quelque peu oxymorique, l’écart entre les deux est comblé par un modèle séparatif ou une cartographie interprétative. Le fait que le modèle lui-même soit implicitement associé à l’esprit, et que l’esprit soit donc présent aux deux extrémités de la cartographie, n’est ni réalisé ni reconnu.

Comme on pouvait s’y attendre en raison de sa dépendance à l’égard de ceux qui le financent et le contrôlent, le monde universitaire a été recruté pour leur cause. La vision du monde dominante dans le monde académique est une autre forme de dualisme appelée naturalisme, un terme qui est synonyme dans certains contextes d’athéisme et de laïcité. Le naturalisme méthodologique exclut le surnaturel ou la métaphysique du contenu et de la méthodologie de la science, tandis que le naturalisme métaphysique exclut oxymoriquement la métaphysique de toute existence, vraisemblablement sur la base d’une « ontologie physique » non spécifiée (et en fait, logiquement impossible) qui permet de confiner l’existence au domaine physique ou observable.

Évidemment, aucun de ces deux types de naturalisme n’est compatible avec la spiritualité et la religion. Les êtres humains investissent la religion de sentiments, d’émotions et d’attentes positifs fondés sur des affirmations de vérité qui exigent qu’elle ait un contenu du monde réel lié à la formation et à l’actualisation du but et de la destinée de l’homme. La religion doit donc décrire non pas un simple objet d’espoir, mais une base d’espoir vérifiable. Le naturalisme, étant dualiste, exclut l’identité humaine de la réalité, privant l’impératif spirituel d’une auto-identification cohérente.

Tandis que le naturalisme métaphysique (monisme physique) sape la cohésion spirituelle, la religion décline. La séparation de l’Église et de l’État, qui visait à l’origine à préserver la liberté du peuple de pratiquer son culte comme il l’entendait, semble aujourd’hui souvent être interprétée à tort comme la liberté de l’État face à la compétition religieuse pour les cœurs et les esprits de la population. En d’autres termes, le « mur de séparation » de Jefferson semble avoir été interprété à tort comme une autre expression du dualisme cartésien, présageant et justifiant faussement une pseudo-théocratie laïque anti-religieuse qui menace d’écarter la vraie spiritualité de son rôle précédent dans l’auto-identification humaine et la formation de la destinée humaine.

Singularités doubles

Dans le présent contexte, une « singularité » est un point à partir duquel un système doit subir une rupture directionnelle, franchir une limite ou être redéfini afin de survivre, indépendamment de la manière dont il peut évoluer avant ou après. En conséquence, elle peut être comprise comme une sorte de destin systémique, une convergence inévitable des chemins ou trajectoires possibles de l’évolution systémique. Les chemins convergent vers des points, et lorsqu’un tel point marque un changement brusque dans la trajectoire générale lisse d’un système, il constitue une sorte de « métapoint » systémique qui peut être considéré comme marquant une mutation systémique ou un changement d’inertie. Cela fournit une conceptualisation mathématique provisoire de la « singularité » pour les systèmes sociaux.

Les formes apparentées de dualisme discutées jusqu’ici – dualisme cartésien, naturalisme, NOMA, etc. – s’opposent au besoin humain d’une identité spirituelle cohérente. Cela implique une bifurcation ou une divergence, un choix évolutionnaire humain entre deux adaptations ou destinées possibles correspondant respectivement aux aspects anthropiques et technologiques d’une transformation « singulière » imminent. Chaque destin possible correspond à la domination d’un aspect sur l’autre, et peut être associé à son propre type conventionnel de singularité.

D’un côté se trouve la Singularité Humaine, une réalisation en masse de l’identité spirituelle expansive de l’espèce humaine. Essentiellement, il s’agit du réveil spirituel de masse auquel nous avons été amenés à nous attendre, par exemple, par certains courants de la pensée « New Age ». Le prototype de ce type de singularité est le Point Oméga de Pierre Teilhard de Chardin, qui représente le terminus de l’évolution et l’événement divin d’unification spirituelle par lequel l’humanité, et la réalité elle-même, atteindront la « Conscience du Christ » et seront transformées à jamais. (Après son introduction par Teilhard, le concept a été développé par divers auteurs, dont, ironiquement, quelques auteurs à vocation scientifique, ostensiblement tournés vers la technologie, comme Frank Tipler et David Deutsch).

De l’autre côté, il y a la Singularité Technologique, formulée par le célèbre mathématicien John von Neumann comme l’approche d’une jonction où « le progrès technologique deviendra incompréhensiblement rapide et compliqué », avant lequel « le progrès toujours plus rapide de la technologie… donne l’impression de s’approcher d’une singularité essentielle [en italique pour l’emphase] dans l’histoire de la race, au-delà de laquelle les affaires humaines, telles que nous les connaissons, ne pourraient plus continuer » (Ulam, 1958). En bref, von Neumann prévoyait une accélération technologique incontrôlable, une accélération soudaine de la complexité suivie par la transformation (ou l’extinction) de l’humanité.

La plupart des discussions sur la Singularité Technologique ont été naïves au point d’être trompeuses, se réduisant à des éloges béats sur la capacité de l’intelligence humaine à se coupler de manière inventive à la réalité sur le plan physique de l’existence, en utilisant des merveilles technologiques à la fois réelles et imaginées, y compris des implants, des prothèses, l’ingénierie génétique, les réalités virtuelles, et par-dessus tout, une fusion de l’intelligence humaine avec l’IA. Le problème avec de telles discussions est qu’elles semblent habiter un vide socio-économique et politique, alors qu’en fait, le concept de singularité est chargé de complications inquiétantes impliquant des facteurs économiques et sociopolitiques sans lesquels il ne peut être correctement évalué.

Les Singularités Humaine et Technologique sont liées l’une à l’autre par une sorte de dualité : la première, étendue et spatiale, représente la répartition uniforme des ressources spirituelles et intellectuelles sur l’ensemble de l’humanité, tandis que la seconde est une concentration compacte et ponctuelle de toutes les ressources entre les mains de ceux qui peuvent se permettre d’accéder pleinement aux meilleures et aux plus avancées des technologies. Étant opposés l’un à l’autre en ce qui concerne la distribution des ressources de l’évolution sociale, ils le sont également en ce qui concerne la structure de la société ; une distribution symétrique de la capacité de gouvernance efficace correspond à un ordre social basé sur la liberté et la responsabilité individuelles, tandis qu’une concentration extrême des moyens de gouvernance conduit à un système centralisé, semblable à une ruche, au centre duquel réside une concentration oligarchique de richesse et de pouvoir, avec une pénurie croissante ailleurs en raison de la nature addictive et auto-renforcée du privilège. (Notez que cela diffère de la compréhension habituelle de l’individualisme, qui est ordinairement associé au capitalisme et juxtaposé au collectivisme ; en fait, à la fois le capitalisme et le collectivisme, tels qu’ils sont pratiqués de manière monopolistique à l’échelle nationale et mondiale, conduisent à l’oligarchie et à une perte d’individualité pour la grande majorité des gens. Une Singularité Humaine est une toute autre chose, donnant du pouvoir aux individus plutôt que de faciliter leur déresponsabilisation).

L’existence de deux singularités possibles présuppose un point de bifurcation ou de divergence au-delà duquel l’élan évolutif de l’humanité doit la porter. Actuellement, l’élan appartient à la Singularité Technologique ; elle est privilégiée par les intérêts financiers, corporatifs et gouvernementaux qui dirigent l’économie générale. Cet élan est renforcé par l’apparente indisponibilité d’alternatives, c’est-à-dire l’inexistence de toute autre voie sur laquelle la société pourrait être dirigée afin d’échapper à un verrouillage oligarchique par l’IA. C’est une chose que l’humanité s’éveille en masse à son asservissement imminent par une Singularité Technologique apparemment inévitable ; c’en est une autre que d’avoir une alternative supérieure clairement en vue.

Afin d’atteindre une quelconque destination alternative, l’humanité doit comprendre ce qui l’a poussée vers la Singularité Technologique. À ce stade, la raison est claire : la concentration quasi automatique des richesses et du pouvoir, dont on a observé qu’elle se produisait tant dans le capitalisme que dans le socialisme, fractionne l’humanité en une surclasse et une sousclasse entre lesquelles tout le reste est écrasé et anihilé comme par les mâchoires d’un étau. En d’autres termes, les niveaux supérieurs et inférieurs de la société deviennent les mâchoires d’un étau qui, en raison du vissage de la mâchoire supérieure contre la mâchoire inférieure semblable à une enclume, écrase la classe moyenne et toute concurrence significative, normalisant ainsi la ruche par la standardisation économique, physique et psychologique de ses drones et de ses travailleurs.

Pour des raisons qui devraient maintenant être évidentes, appelons ce processus une « divergence parasitaire » – c’est-à-dire une divergence organisée de l’humanité en une surclasse parasitaire et une sousclasse relativement appauvrie servant d’hôte contrôlé par l’esprit, reflétant les effets horribles de certains parasites contraignants les organismes qu’ils attaquent – et reconnaissons qu’il est dirigé par l’acquisition auto-renforcée et donc accélérée de la richesse, du pouvoir et du contrôle technologique par les riches. Laissé à lui-même, ce processus conduit finalement à une concentration « singulière » de la richesse et du pouvoir… une sorte de « trou noir » socio-politico-économique qui ne cesse de d’absorber. Comme la mâchoire supérieure de l’étau devient plus petite, plus dense et plus forte, la mâchoire inférieure devient plus grande et plus faible ; et comme l’utilité humaine devient de plus en plus concentrée, chaque augmentation significative de la richesse de la classe supérieure se traduit par une plus grande quantité de misère pour la classe inférieure, diminuant arbitrairement l’utilité nette de l’humanité.

Des divergences parasitaires se sont produites à de nombreuses reprises dans l’histoire, mais celle d’aujourd’hui est différente. En raison de la double épreuve de la mondialisation et des puissantes technologies de surveillance et de coercition, celle qui est en cours est géographiquement omniprésente et potentiellement irréversible. Si l’humanité doit se sauver de l’avenir insectoïde, semblable à une ruche, associé à la Singularité Technologique, la Singularité Humaine doit prévaloir, permettant à l’humanité d’exercer un contrôle suffisant sur la production, la distribution et l’application de la technologie pour empêcher son abus oligarchique illimité. Pour y parvenir, il ne suffit pas de distribuer un mécanisme d’évitement cognitif permettant à l’élite fortunée d’acheter et de corrompre comme à leur habitude, étant donné l’absence d’une direction alternative bien définie dans laquelle l’humanité peut aller ; il faut plutôt définir une direction alternative et la distribuer universellement sous forme cognitive et attitudinale.

En bref, afin d’avoir un réveil de masse significatif, le contenu du réveil doit être défini et distribué aux membres de l’humanité, les immunisant ainsi contre le contrôle mental parasitaire. Comme ce contenu doit être spirituel, l’implication de la religion est inévitable.

La métaphysique du 21ème siècle comme métareligion

Nous sommes donc confrontés à un choix existentiel de singularités… un choix dont dépend certainement notre avenir. Ces deux singularités, Humaine et Technologique, correspondent respectivement au monisme spirituel, l’unification auto-duelle de l’humanité dans une identité spirituelle commune couvrant toute la réalité, et au monisme physique ou matériel, la mécanisation terminale et la dé-spiritualisation de l’identité humaine. Pour le salut de l’humanité, la spiritualité doit triompher ; cependant, la religion telle que nous la connaissons est non seulement continuellement attaquée par les forces du sécularisme, mais elle n’a pas les moyens conceptuels de surmonter le dualisme cartésien et de se réunir avec l’aspect scientifique et technologique de la réalité.

Les religions évoluent en liaison avec des cultures, des conventions et des morales qui entrent en conflit dans le monde réel les unes avec les autres et/ou avec l’État, avec pour résultat que les religions elles-mêmes entrent en conflit de toutes ces manières. De toute évidence, un éveil spirituel de masse nécessite un moyen de résoudre ces conflits. Les suggestions comprennent la ségrégation des religions, l’autorisation ou l’encouragement d’une seule religion à devenir partout dominante, l’opposition des différentes religions dans une stratégie de confinement mutuel, la fusion des religions par syncrétisme (rassemblement de leurs croyances et rituels respectifs sous une seule égide) et l’élimination totale de la religion. Mais il existe une autre option plus prometteuse : l’unification des religions intérieurement cohérentes dans une métareligion bien structurée, c’est-à-dire une relation théologique entre les religions qui fournit à leurs affirmations de vérité valides un support logique.

En vertu de la fonctionnalité de cette relation, sa structure est celle d’une langue. Comme les théories de la science, les religions sont elles-mêmes des langages ; plus spécifiquement, ce sont des langages scripturaires et doctrinaux qui prennent pour contenu une réalité unique et partagée comprenant non seulement l’univers physique, mais aussi les croyances subjectives, les codes de comportement et les notions de sacré qui en découlent. Cela implique qu’une métareligion est un métalangage complet de langages religieux. Cependant, pour dépasser les limites du dualisme et se coupler avec la science, ce métalangage religieux doit aussi avoir une portée scientifique. En fait, elle doit mettre en contact la spiritualité et la science à toutes les échelles de référence. Comment cela doit-il être accompli ?

Tous les langages intelligibles incluent la logique comme ingrédient syntactique, ce qui signifie que des langages apparemment indépendants partagent une syntaxe commune et ne sont que des aspects parallèles d’un langage global, à savoir la logique elle-même. Cela implique qu’une formulation suffisamment puissante de la logique comprend un langage commun à la science et à la religion, et peut donc fonctionner comme un pont entre elles et leurs aspects symboliques et sémiotiques respectifs. Mais la logique des prédicats standard est elle-même comprise comme un langage dualiste ; bien qu’elle relie les attributs et les objets dans les attributions, elle le fait sur une base faible et provisoire. Ce qu’elle attribue au contenu du monde réel ne peut être vérifié que par rapport à des axiomes plus ou moins arbitraires et/ou par confirmation empirique. Que peut-il être fait pour vaincre cette exigence, transformant ainsi le dualisme linguistique en auto-dualité linguistique ?

Les langages sont conventionnellement définis comme des attributs complexes de leurs univers de discours. Par définition, ils sont duellement séparés de leurs univers, tout comme un attribut est abstraitement séparé de celui auquel il est assigné par quantification prédicat-logique. Pourtant, les langages prennent leurs univers comme contenu, ce qui contredit le postulat dualiste selon lequel ils sont séparés. Comme tous les langages conventionnels, les langages religieux (scripturaux et doctrinaux) sont dualistes et donc conflictuels ; ils sont implicitement tenus à l’écart de leurs univers, même s’ils les prennent pour contenu. De même, la théologie standard – un métalangage pour l’analyse et la comparaison des religions et des conceptions religieuses de Dieu – est également dualiste, et se distingue des langages religieux qui forment son contenu (et, par conséquent, de Dieu). Ce dualisme implicite rend les langages religieux et théologiques standard fondamentalement incapables d’exprimer l’unité spirituelle de l’homme et de la nature. Pour éliminer la séparation dualiste des langages et de leurs univers, le dualisme doit être formellement éliminé de la structure intrinsèque du langage.

Le fait que tous les langages intelligibles incluent la logique comme ingrédient syntactique implique qu’une formulation suffisamment puissante de la logique comprend un langage commun à la science et à la religion, où « une formulation suffisamment puissante de la logique » exprime la logique à un niveau métaphysique approprié à son application à la réalité dans son ensemble. Cela revient à exiger qu’il s’agisse d’une supertautologie, c’est-à-dire d’un analogue métaphysique de la tautologie logique qui emploie la logique comme syntaxe identificative d’un opérateur générique d’identification réflexive. La supertautologie décrit la structure d’un métalangage ontologique et épistémologique portant la description comme « métaphysique » dans le sens requis pour une véritable compréhension de la spiritualité et de la religion.

Comme on le considère habituellement, il n’existe que deux types fondamentaux de science : la science empirique, qui repose sur une inférence causale décrite par des « lois générales de la nature », et la science mathématique (logique, linguistique), qui utilise la substitution dans des systèmes formels (axiomatiques ou grammaticaux). Bien qu’ils fonctionnent de manière superficiellement dissemblable, ils sont néanmoins inséparables ; l’aspect théorique de la science empirique dépend de l’inférence formelle, un processus mental se déroulant dans l’esprit des mathématiciens et des scientifiques qui l’actualisent à l’aide de cerveaux obéissant à des lois de causalité. Afin de traiter la relation de dépendance mutuelle entre la réalité mathématique et la réalité observationnelle, nous avons besoin d’un niveau supérieur de science qui inclut à la fois la science empirique et la science mathématique, mais qui est plus puissant que l’une ou l’autre dans la manière dont il les relie.

L’inférence causale est interactive et linéaire ; les événements sont prédits à partir d’événements antérieurs survenant le long de lignes temporelles. L’inférence formelle est dérivée ; les relations spécifiques sont substituées aux relations plus générales (ou vice versa) sans tenir compte de la priorité temporelle. Une supertautologie évolue de manière auto-duelle ou « métaformelle », de façon à coupler l’évolution formelle et causale. Tel est le mode d’évolution propre d’un métalangage ontologique capable non seulement de soutenir la causalité, mais de justifier l’existence, y compris sa propre existence, sans l’aide d’aucun autre langage. L’inférence métaformelle, appelée ailleurs « causalité télique », comprend à juste titre des aspects d’inférence formelle et causale ; ainsi, elle soutient à la fois l’origination générative et l’évolution causale, et peut être comprise comme un mode d’inférence supérieur englobant la déduction logique, l’induction empirique et le raisonnement métalogique sur la réalité dans son ensemble.

Il existe déjà une branche de la logique, la théorie des modèles, qui traite de l’interprétation des phénomènes empiriques dans les théories et les structures mathématiques dont elles sont constituées, mais sa formulation standard est dualiste. Elle a maintenant une extension réflexive auto-duelle appelée le Modèle Théorique Cognitif de l’Univers (CTMU ; Langan, 2002), ou comme certains l’ont appelé en termes plus traditionnels et religieusement chargés, Logos, principalement en reconnaissance de son statut de formulation métaphysique de la logique. Techniquement, le CTMU est un type de théorie des modèles réflexif et de haut niveau conçu pour soutenir la description de la réalité au niveau ontologique du discours… le niveau auquel la réalité existe indépendamment de toute chose extérieure.

À ce niveau et à tous ceux qui lui sont inférieurs, la structure supertautologique du CTMU est pratiquement inattaquable. De même que la logique standard ne nécessite aucune hypothèse, le CTMU non plus ; il ne requiert que les facultés cognitives et perceptives qui nous sont données dès la naissance. Et parce que le CTMU est intrinsèquement valide d’une manière que la science empirique seule ne l’est pas, il soutient l’expression et le développement de la vérité scientifique dans un environnement conceptuel auto-duel (non dualiste). En tant qu’ontologie métaformelle qui remplace le dualisme par l’auto-dualité, le CTMU peut être considéré comme le résultat de ce que l’on pourrait appeler le « Programme Métaformaliste » dans les fondations conjointes des sciences et des mathématiques.

Pour modéliser les langages religieux au niveau métaphysique approprié de la logique et exprimer de manière cohérente leurs interrelations, le CTMU emploie un langage métalogique trialique qui constitue son propre univers et son propre modèle, et qui est donc capable de valider de manière autonome certaines revendications religieuses de vérité et de cohérence. En effet, ce langage constitue la « métascripture » d’une métareligion véridique et potentiellement unificatrice. Sa structure supertautologique est celle d’un Langage Auto-Configurant Auto-Traitant (Ndt : SCSPL) présentant une fermeture référentielle et reflétant ainsi la structure de la réalité autonome et autosuffisante dans laquelle nous vivons. Codifiant la relation entre l’homme et la Déité, l’humanité et la structure métaphysique de la réalité, elle constitue la seule base valable pour éliminer la confusion existentielle et les conflits religieux qui menacent notre monde sans sacrifier ce qui fait de nous des êtres humains.

Conclusion

Bien qu’une formulation élémentaire du CTMU ait suscité relativement peu d’intérêt académique près de trois décennies après son introduction, il est naturel de se demander quel impact il est susceptible d’avoir sur l’environnement intellectuel. Le changement le plus profond de notre vision du monde viendra peut-être du fait que nous apprendrons que les êtres humains qui vivent et respirent sont des ingrédients essentiels et logiquement nécessaires de la réalité, et pas seulement des « phénomènes émergents » qui « interviennent » sur des processus physiques bruts. Dans le CTMU, les êtres humains constituent une classe d’entités ayant une formulation mathématique très spécifique et un rôle essentiel dans la structure et la dynamique de la réalité. Une fois ce rôle bien compris, les domaines spirituel et scientifique se rejoignent par leur propre gravité.

Dans le monde académique – qui souffre de fermeture et d’une préférence pour l’orthodoxie intellectuelle par rapport à l’innovation conceptuelle profonde – cette prise de conscience sera retardée de manière caractéristique. Pour les mathématiques et les sciences dures, ce sera probablement essentiellement comme si de rien n’était, surtout au début ; en effet, sous leur forme actuelle, ces deux disciplines ont déjà leur place dans le CTMU. C’est-à-dire que les mathématiques pures habitent la syntaxe SCSPL, tandis que la science habite le semimodèle linéaire-ectomorphe du CTMU comme limite physique (en ignorant pour l’instant la relation entre la syntaxe et la limite). Pour les sciences plus « douces » et plus amorphes qui ne bénéficient pas de théories mathématiques rigoureuses compensant leur manque de fondements conceptuels solides, les avantages peuvent être plus facilement ressentis, du moins parmi ceux qui n’ont pas été enfermés dans le naturalisme académique. La philosophie et la théologie sont les plus susceptibles de subir des changements plus immédiats ; en tout cas, il ne sera plus possible de rejeter rationnellement l’aspect métaphysique de la réalité ou ses implications, ou de concocter des rationalisations ad hoc fondées sur le relativisme et l’ambiguïté existentielle. Entre-temps, l’émergence d’un langage fondamental commun à toutes ces disciplines ne sera probablement réalisée que progressivement.

Quant à la religion, dont les croyants croupissent souvent sous le poids écrasant de l’orthodoxie et de la pression des pairs, il faudra faire preuve d’un tout autre courage et d’une plus grande ouverture d’esprit. Mais heureusement, et c’est peut-être une conséquence involontaire de l’érosion constante des dogmes religieux, de nombreux esprits se sont déjà suffisamment ouverts pour permettre une compréhension considérablement enrichie de la spiritualité. Espérons qu’ils seront suffisamment nombreux pour nous aider à atteindre la Singularité Humaine et à sauver l’humanité d’un avenir autrement sombre et potentiellement catastrophique.

Références

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Langan, C. M. (2002). The Cognitive-Theoretic Model of the Universe: A New Kind of Reality Theory. Progress in Complexity, Information, and Design, 1, 2-3.

Langan, C. M. (2017). An Introduction to Mathematical Metaphysics. Cosmos and History: The Journal of Natural and Social Philosophy, 13, 2.
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Publication originale en langue anglaise Cosmos and History: The Journal of Natural and Social Philosophy, vol. 14, no. 1, 2018 https://cosmosandhistory.org/index.php/journal/article/view/694

Dernière révision de la traduction le 03/09/2024.

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